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Pourquoi parler en janvier d'un spectacle de décembre?
(Yves-Noël Genod)
par Jean Pierre Ceton et Alexie Virlouvet
D'abord parce
qu'il s'agit d'un des spectacles de Yves-Noël Genod, qui ne sont
jamais représentés très longtemps, un ou quelques jours en
général. Et puis parce qu'il montera un spectacle bientôt, car en
contre partie il en fait assez souvent (plus de 40 depuis 2003). Bien
sûr ses spectacles sont tous différents, il dit ne pas savoir
chaque fois ce qui va se passer. Mais ils ont sans doute en commun un
chemin de désir vers la beauté.
À une
semaine d'intervalle, il présentait au Théâtre de la Cité
internationale de Paris «- je peux / - oui », en deux
parties, surnommées, comme l'auraient fait les anciens marxistes :
Pratique et Théorie. La pratique, c'est « -je peux ». Le
lieu est une salle désossée dont il reste un grand cube noir à la
Régy. Un cube libre, si j'ose dire, parce que Yv-No G nous présente
son théâtre dans la liberté. D'ailleurs il nous installe, nous
spectateurs, dans la liberté. On peut s'assoir un peu partout autour
du plateau, sur les côtés, étant entendu que les comédiens
évoluent eux aussi où ils veulent.
Yv-No G a
choisi de jouer l'après-midi, pour utiliser la lumière du jour.
C'est un point de rupture avec l'instance du théâtre qui en général
réclame l'obscurité ou bien la lumière artificielle. Donc à peine
les lumières réglementaires s’éteignent que sont enlevés les
volets qui obturent les fenêtres situés en hauteur sur les côtés
de la salle. Ainsi arrive la lumière modulée par les nuages qui
laissent parfois filtrer des rayons de soleil. Alors l’éclairage
se fait autant sur le plateau que sur certains spectateurs, qu'on peut prendre pour des comédiens, tout comme certains
comédiens, on peut les prendre pour des spectateurs. En tout cas
jusqu’à ce qu'il se mettent à bouger. En un premier temps pour
s'en aller, de préférence en claquant bien les portes, et en
déclenchant tout un ramdam hors du plateau !
Tout est
libre, et tout est aussi exagérément libre.
Ensuite
quand ils reviennent, c'est pour performer. Yv-No G propose un
espace à ses comédiens. Ils viennent avec leurs fringues, avec
leurs gestes, mais aussi avec leurs textes, il y a davantage de mots
dans ce spectacle. Performer, c'est ce que fait en particulier
Marlène Saldana dont la présence, quoi qu'elle fasse, déclenche
les rires et/ou la séduction.
La
performance s'opère à deux ou à plusieurs, des rencontres de corps
pour matérialiser une rencontre d’êtres. Des corps qui se
collisionnent, qui peuvent être très liés, se parler en accroche,
mais qui déblatèrent seuls. Ou qui s'adressent au public, non qui
s'adressent au monde.
Et puis
l'envie peut leur prendre de se mettre à saluer. Le numéro du
salut, Yv-No G l'avait déjà travaillé, notamment dans son Hamlet.
Il se fait en cours de spectacle, il dure longtemps. A la fois il
singe le salut des comédiens réglos dans les spectacles du même
nom. Et puis il illustre la sortie de la représentation. Puisque que
c'est par le salut que se relient en général l'instance du réel et
celle du théâtre, quand la vie « réelle » réapparait
sur le plateau. Là, il se fait surjoué, sans fin prévisible. Ce
salut, si représentatif de la représentation, est donc mis en
pièces, comme est attaquée la représentation. Yv-No G dit qu'il
veut détruire l’idée même de la représentation.
J'y vois
un lien avec sa manière de dépasser toute vie privée dans son
blogue (Le dispariteur) ou au contraire de faire que la vie privée soit
publique.
Dans
« -je peux », on était entré sans trop s'en rendre
compte, lentement, par enchantement, jusqu'à la pause durant
laquelle une coupe de champagne était proposée...
Yv-No G
offre toujours du champagne à ses spectateurs. Bien sûr c'est
classe, cool, sympa. Mais ce n'est pas anodin. C'est aussi une
manière valorisante de considérer le « public », pas
tout à fait comme du public, plutôt des invités.
« N'éteignez
pas vos téléphones ! » (c'est vrai qu'il suffit de les
activer en mode silencieux) dira justement Yv-No G en invite à la
2nde partie du diptyque, avant de s'assoir parmi les spectateurs.
Sans
doute pour nous préparer à un voyage, à un itinéraire en
tout cas. On retrouve, comme dans « -je peux » une
bande-son très présente, tonitruante, d'opéra, de piano,
d'explosions et de bruits divers autant qu'il y a de la fumée qui
sort du fumigène. Exagérément. Une fumée qui forme des formes à
n'en plus finir. Le « silence » dure, le temps s'écoule.
Pourtant on se sent bien, on se sent devenir partie prenante, même
si une inquiétude se nourrit de la durée. Car le spectacle ne cesse
de commencer jusqu’à la 52ème minute !
Quelques
spectateurs se regardent, nous pouffons de rire à plusieurs
reprises, d'autres consultent la feuille de salle, comme pour
chercher une information sur ce spectacle qui parait ne pas
commencer. Sauf à être celui d’une bande-son radiophonique.
La voix
de Celeste décrivant les derniers jours de Marcel Proust qui va
déclencher une arrivée minimale sur le plateau ? Celle du
père, puis de Marlène puis de Yv-No G himself.
Que
s'est-il passé pour ce « Théorie, -oui » ?
Il a fait intervenir son père et donc la figure du père. Il se
pourrait qu'il en ait profité pour radicaliser le propos. Marre de
la représentation, comment on dirait marre de tricher... Pour mieux
en découdre, il a fait appel à une spectatrice du premier set, en
l'occurrence une journaliste de France Culture qui vient dire ce
qu'elle y a vu en pratique.
Ce second
set d'une certaine façon ne se termine pas. A un moment des
coupettes de champ nous sont proposées sans laisser la possibilité
d'applaudissements. Aussitôt des conversations s'engagent, des gens
partent, d'autres restent.
Il
n'est pas si facile de partir, on est sous influence de ce désir de
beauté. Comment cherche-t-il à l'atteindre? Par la liberté à
l'égard de toutes conventions. Pourquoi ? Pour que le désir
soit l'instance de la vie. Pour que ce théâtre -qu'il fait si beau, si
émouvant, si jouissif, si drôle-, soit ce que la vie serait. Que ce
théâtre soit la vie. Non plus une instance de représentation, mais
la vie.
Qu'on
donne un lieu à Yves-Noël Genod, encore qu'il préfère peut-être
l'errance ou le voyage. Mais tout de même, qu’il ait un lieu de
résidence, c'est ce qu'on lui souhaite, et qu'ainsi il nous donne
une sorte de spectacle à longueur d'année !
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