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La question du support
par Aimé Victorin (1)
Nous voulions parler de
notre révolte contre le fait, ressenti
par nous comme un grossier abus de pouvoir, qu'un
présentateur du journal télévisé le plus
regardé soit en même temps le quasi seul
présentateur
d'émissions sur les livres en France et, du coup, un homme qui
pèse de toute son influence sur le monde de l'édition
littéraire.
D'abord en distillant sournoisement son idéologie
médiatique, officielle et pseudo-consensuelle, puis en imposant
ses goûts littéraires sous une évidence de
vérité et, plus que par-dessus tout, même si c'est
son droit, en ce qu'il écrit des romans dont les pauvres
critiques sont bien obligés de parler dans
leur chronique s'ils veulent ne pas être exclus du bon cercle...
Ajoutons que nombre d'écrivains se sentent
dès lors obligés de se rendre à ses
émissions, même s'ils y vont tête basse.
Mais s'entêter à clamer cette révolte
serait, sinon avoir perdu d'avance,
en tout cas courir le ridicule pire
que le Don Quichotte de Cervantes, si bien que nous
préférons traiter de la délicate question du
support de l'écrit. - Depuis des siècles s'était instaurée
l'évidence du lien entre écrit et livre papier, sans
d'ailleurs que les lecteurs aient conscience de
l'autonomie possible de l'écrit par rapport à ce support
historique.
- Aujourdhui le support numérique s'installe
à côté du livre papier, permettant
un accès massif à l'écrit pour des
quantités de gens adultes ou enfants qui ne
lisaient pas ou n'allaient plus écrire (récemment
encore des experts craignaient que les nouvelles
générations téléphonent mais
n'écrivent plus)....
- Les différents disques durs ou compacts sont des
mémoires à lire, tout comme le livre d'une certaine
façon, et l'on peut trouver sur internet
davantage d'écrits que dans les plus grandes
bibliothèques jamais imaginées par nos utopistes du
passé. Sans compter que les grandes
bibliothèques existantes y deviennent accessibles.
- Il n'empêche que pour le moment lire un roman, par
exemple, en édition numérique reste peu pratique, en tout
cas sur écran, étant donné que les livres
numériques ne semblent pas parvenir à s'imposer.
- D'ailleurs le livre papier est devenu un objet de plaisir, facilement
disponible dans les librairies locales ou électroniques, et
aussi dans les hypermarchés. - Cependant un outil manque cruellement en lecture du
livre papier, c'est la procédure de recherche d'un mot ou d'une
expression, au point d'en être réduit, souvent
nerveusement, à feuilleter et refeuilleter une partie du livre
pour trouver le passage que l'on cherche...
- Le développement du support
numérique intervient en même temps qu'un retour au
livre, voire à l'éclosion d'une bibliomanie
exacerbée qui pour une part sert de refuge à ceux pour
qui le support numérique est le symbole d'un
monde moderne honni.
- Retour du livre, soyons humbles, les bibliothèques publiques
datent de moins d'un siècle en France et le livre n'a jamais
été abandonné, au contraire sa croissance en
termes d'édition a été constante depuis des
dizaines d'années. - Le support numérique ouvre
un abri de taille infinie pour des quantités
d'écrits présents, et à venir
surtout, que l'édition papier aurait été bien
incapables d'accueillir et encore moins de stocker
tout en les maintenant disponibles...
- Il devient pénible pour un lecteur
numérique lorsque lisant un livre papier il est renvoyé
à un article
d'une revue ou à un livre publiés des années
auparavant
de devoir attendre de commander ou de se rendre en bibliothèque
pour trouver
cette référence quand par un simple clic il pourrait y
avoir accès. - Alors comment expliquer que la question du support reste si
délicate?
- Une certaine instabilité des écrits en ligne.
Ce n'est plus gravé dans la pierre ni imprimé une fois
pour toutes. L'auteur peut facilement revoir et préciser son
texte. D'ailleurs le lecteur doit actualiser la page qu'il visite afin
de ne
pas retrouver la page précédemment consultée alors
qu'elle a peut-être été mise à jour...
- Pourtant on lit de plus en plus
sur écran. Il s'agit peut-être d'une autre lecture, comme
il faudrait parler d'une autre écriture en ligne...
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