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Pour une littérature
numérique
par Jean Pierre Ceton
Parce
que le numérique est plus ouvert que l’analogique,
plus vaste de possibilités, plus libre, orienté
vers le futur et non vers le passé. En outre le numérique est à multiples
entrées, il
contient sa propre capacité de transformation et porte à
la polysémie… Ce pourquoi la littérature contemporaine
doit être «numérique». La base de tout, c'est le refus de la
littérature salace, en gros la piste policière. Sans
doute parce que je n’aime pas voir le monde se réduire aux flics
et aux voyous dont je déteste les valeurs ordinaires. C'est aussi de contrer
la littérature-réalité. En effet, tout
comme existent sur les télévisions des programmes de
télé-réalité, se développe depuis
quelque temps dans l'édition une sorte de littérature
réalité. Elle a pour caractéristique de raconter
brut de décoffrage des événements survenus en
vrai, avec le moins de conscience possible et le plus de clichés
convenus. Ce qui aboutit à une sorte de littérature de
misère bourgeoise, même si l'intention est bonne,
même si l'engagement politique est correct, même si la
dénonciation est culturellement bien-pensante… En général cette littérature-réalité reproduit le monde tel qu'on
se le
représente communément, voire
même ferme des portes de lucidité pourtant
déjà ouvertes. Il faut en définitive se garder de
la
littérature-miroir que voudrait être la littérature-réalité. Fabriquée pour que le lecteur s’y
retrouve, y puisse lire ce qu’il sait déjà, à quoi
bon ?
Non, me dis-je, je ne vais sûrement pas me laisser
imposer d’écrire monocorde et monochrome comme le voudraient x
et y pour soi-disant toucher un public qui en plus ne lit pas tellement
les livres. Ni pour satisfaire aux critiques qui
préféreraient que
j’écrive que notre époque est la pire de
toutes ou bien que l'humanité est en train de se suicider.
Ni pour me conformer à un standard de langue classique
impliquant des formes (passé simple, subjonctif imparfait etc.)
dont l'usage est ridicule dans la vie courante. Pas davantage pour perpétuer des valeurs
désuètes,
tandis que j’essaie à chaque
moment d’inventer des manières de vivre dont découlent
forcément des valeurs esthétiques. Je
préfère m'en remettre au travail de fiction. Pour moi le travail de fiction est comme un travail de vie.
Il
opère par couches et déverrouillages pour inventer un
terreau de possibles. Il fictionne des éléments de
réalité pour atteindre une autre réalité.
En tout cas une réalité qui n’existait pas dans ces
éléments de réalité de base.
Jusqu’à ouvrir des perspectives qui étaient impossibles
à imaginer avant ce travail-là.
Je revendique ainsi une littérature radicale et
numérique, libre tout autant de la culture dominante que de
l’idéologie en cours, et aussi de la langue académique
qui en nous imposant des formes désuètes
nous empêche souvent d'écrire ce qu'on pense.
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