C’est un
constat qui a besoin
d’être écrit pour être visualisé. Le
passé simple de l’indicatif a radicalement disparu de la
conversation ordinaire. Jamais dans la rue, au café, dans les
soirées d’amis ou les réunions de familles, on ne
l’entend.
Impossible de raconter ses vacances au passé simple, pas
davantage une histoire d’amour. Ni de relater une négociation,
un entretien, une discussion… Pour l’entendre encore, il faut s’en
remettre aux dialogues des films classiques datant des années
1940/50 ou lire les romans classiques.
Cependant on fait apprendre aux enfants le passé simple
très studieusement dès l’école primaire et dans
toutes ses irrégularités. Qu’ils apprennent donc et ne
parlent jamais.
Ou seulement quand ils se lancent à inventer des histoires et
qu'alors ils l’utilisent n’importe comment, accordant tous les verbes
sur le mode des verbes du 1er groupe, tu aimas, nous
chantâmes, vous prenâtes et buvâmes….
En se maintenant dans les contes autant que dans les rédactions
de l’école, le passé simple n’est pas loin de constituer
un difficulté identique à celle de l’écriture
cursive que les enfants doivent pratiquer à la petite
école et qu’ils ne rencontrent nulle
part ailleurs, ni dans les livres ni sur les écrans de
télé ou d’internet. Il faut y ajouter les majuscules
à l’ancienne qu’aucun parent n’écrit plus quand il
saurait encore le faire !
Si le passé simple a disparu de l’écrit courant et bien
entendu des écrits rapides (courriers électroniques,
sms ou textos), il se maintient à l’occasion dans les journaux
mais de façon minoritaire.
Il est curieusement utilisé aussi bien à l’écrit
qu’à l’oral par certains journalistes spécialisés,
par exemple dans la musique ou le sport. Ou par les hommes politiques,
comme résurgence de
formes surannées, parce qu’ils ne parviennent pas à le
remplacer par le passé composé ou l'imparfait.
Mais il perdure surtout dans les romans, il est la langue
installée du récit écrit académique. Des
auteurs ne savent pas raconter autrement qu’avec le passé
simple, tandis certains lecteurs ne peuvent pas lire sans ce
temps-là. Même si pour d’autres son usage apparait
franchement
bizarre lorsque les situations décrites sont vivantes (par
exemple dans Fuir de
Toussaint paru chez Minuit: nous
nous
embrassâmes... je m'avançai vers elle... les
bretelles tombèrent... je lui caressai doucement la poitrine...
nous nous immobilisâmes... elle se rallongea... nous
quittâmes l'hôtel... nous contournâmes les murs...
débouchâmes sur une minuscule plage...).
Franchement bizarre oui, parce
qu'impossible à vivre, même
si ce qui est décrit est
radicalement relégué dans le passé. Impossible en
tout cas à utiliser dans le récit oral, sauf à en
éclater de rire.
C'est que par
définition le
passé simple est le temps des
situations, actions ou événements définitivement
passés, et surtout ponctuels. Sinon l’imparfait fait l’affaire
en indiquant le passé et la durée.
Voilà le hic ou le point d’achoppement. Car si l’on écrit
"je pensai " dans une perspective passée mais
ponctuelle, on sait bien aujourd’hui que penser prend du temps,
ce qui autoriserait "je pensais".
Le temps <qu’hélas on écrit
toujours avec un s, pourquoi pas le
temp au singulier et les temps au pluriel?>, concept
absolu à une certaine époque, ne se
conçoit plus ainsi de nos jours où sa mesure atteint
aisément en précision le millionième de seconde.
Autrement dit peut-être précisée sans limite
immédiate.
De plus l’idée du temps définitivement passé est
bousculée par l’omniprésence de nos archives, images et
sons en particulier. La pratique des rediffusions conduit à une
sorte de perméabilité entre actions définitivement
passées et actions en cours.
Au fond le passé simple est trop simple dans son acception, ce
pourquoi son champ d’application se réduit de plus en plus.
Seuls les archéos et les inertes n'en peuvent et le regrettent.