lettre au lecteur                

texte 10


Contre une littérature d'aliénation

par Jean Pierre Ceton
Une littérature d’aliénation semble s’être développée récemment, sans pouvoir affirmer avec certitude qu’une telle littérature n’a pas toujours existé. Elle repose principalement sur le rejet du temps présent. En cela elle n’est d'ailleurs pas vraiment novatrice puisqu’il y a une forte tradition de rejet de l’époque à toute époque. Qui en effet pourrait se satisfaire de l’état du monde à son époque ?

Il faut cependant se représenter que pour nous « de maintenant » ce sont les époques antérieures qui ont été rejetées par des auteurs des 20e, 19e, 18e etc. Ce qui n’empêche pas que
tel ou tel dénigreur de l’aujourd’hui prennent en modèle certaines de ces époques.
A cette tradition se relie une croyance théorique selon quoi toute littérature doit être critique de notre monde. Or il se trouve que cette critique porte généralement sur les novations de l’époque en s'appuyant sur des certitudes établies qui elles ont tendance à disparaître avec le temps. C’est que la littérature ne peut se passer d’inventer le monde, en particulier le monde mental. 

La littérature actuelle d’aliénation a grandi sur la vague passéiste des années 1990, avec comme moteur la mise en cause de l’idéologie libératrice de mai 1968 et des années 1970.
Etaient ainsi visées la libération des corps, la libération des femmes et des enfants, et des hommes également. En fait la libération au sens de la sortie des aliénations. Pas au hasard que depuis ces années 1990 le mot aliénation ait presque disparu.
Il était bien sûr inévitable et nécessaire que la génération suivant celle de mai 68 se révolte contre son idéologie et en fasse l’inventaire. Mais il en est sorti un peu mécaniquement une volonté déterminée de démontrer que ça n’avait pas marché cette libération, que de toute façon ça ne pouvait pas marcher. Volonté partagée par les déçus de la génération 68 qui a conduit à la mise en cause globale de la philosophie des Lumières.
Alors la littérature d’aliénation contemporaine développe logiquement la croyance en une évolution du monde de moins en moins humaine, et même carrément inhumaine.
La question étant évidemment de savoir si le monde a jamais été humain. Le monde était-il humain avant l’agriculture, durant les grandes invasions ou les croisades, toutes opérées dans la sauvagerie, avec la traite des humains depuis des millénaires, sous le colonialisme, dans les années 1917 ou en 1942 précisément?
Au fond est-ce que l’Histoire n’a pas été à proprement parler inhumaine si l’on considère les guerres, les épidémies, les famines, les oukases des pouvoirs absolus et autres misères en tous genre, et pas seulement les événements du 20e siècle. A quoi il faut ajouter l’absence totale d’accès à l’éducation et au savoir de la majorité des populations sans aucunement le projet que cet accès lui soit donné, ni aux femmes ni aux esclaves ni aux pauvres…

C
ependant rien ne semble empêcher les prédictions catastrophistes de cette littérature d'aliénation quant à l’avenir du monde, assénant soit la disparition de l’espèce soit une mutation telle qu’elle détruirait les qualités dites humaines.
Bien sûr il y a là un thème récurrent de la science fiction qui se plait à montrer des personnages aux allures de robots ou d’extraterrestres, donc déshumanisés, néanmoins faisant preuve de comportements mentaux identiques à ceux des terriens de toujours!
Pourtant le monde à long terme pourrait au contraire laisser place à des humains dont le mental serait assez éloigné des terriens historiques.

Au fond cette littérature d’aliénation pose la question de savoir pourquoi il faudrait penser que notre monde contemporain serait pire que les précédentes époques? Et pourquoi par conséquent ce qui s’est passé avant serait forcément mieux que ce qui se passe maintenant qui à son tour serait forcément mieux que ce qui se passera après ?

Il n’est pas si facile d’exprimer cela, que ce sont les humains de tous les temps de l’histoire qui n’étaient pas très humains, tandis que peut-être oui la poursuite de la civilisation pourrait rendre plus humain les humains.
Ce n’est pas dire que l’avenir du monde sera forcément radieux mais que les humains seront vraisemblablement plus intelligents, c’est à dire moins animaux, moins tribaux, portant plus de savoir et moins d’inconscience dans leur corps…
Ainsi peut s’installer la question mentale que la littérature d’aliénation tente d’occulter.
Ainsi peut s'ouvrir la voie du chemin mental de liberté, celui d'une littérature au moins annonciatrice...
20/10/2005 / tous droits réservés / texte reproductible sur demande / mise à jour 08/04/2006

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