Une
littérature d’aliénation semble
s’être développée récemment, sans pouvoir
affirmer avec certitude
qu’une telle littérature n’a pas toujours existé. Elle
repose principalement sur le rejet du temps
présent. En cela elle n’est
d'ailleurs pas vraiment novatrice puisqu’il y a une forte tradition de
rejet de
l’époque à toute époque. Qui en effet pourrait se
satisfaire de l’état du monde à son époque ?
Il faut cependant se représenter que pour nous
« de maintenant » ce sont les époques
antérieures qui ont été rejetées par des
auteurs des 20e, 19e, 18e etc. Ce qui n’empêche pas que tel
ou tel
dénigreur de l’aujourd’hui prennent en
modèle certaines
de ces époques.
A cette tradition se relie une croyance
théorique selon quoi toute littérature doit être
critique de notre monde. Or il se trouve que cette
critique porte
généralement
sur les
novations de
l’époque en s'appuyant sur des
certitudes établies qui elles ont tendance à
disparaître avec le temps. C’est que la
littérature ne peut se passer d’inventer le monde, en
particulier le monde
mental.
La littérature actuelle
d’aliénation a grandi sur
la vague passéiste des années 1990, avec comme moteur la
mise en cause de l’idéologie libératrice de mai 1968 et
des années 1970. Etaient ainsi visées
la libération des
corps, la libération des femmes et des enfants, et des hommes
également. En fait la libération au sens de la sortie des
aliénations. Pas au hasard que depuis ces années 1990 le
mot aliénation ait presque disparu.
Il était bien sûr inévitable et
nécessaire que la génération suivant celle de mai
68 se révolte contre son idéologie et en fasse
l’inventaire. Mais il en est sorti un peu mécaniquement une
volonté déterminée de démontrer que
ça n’avait pas marché cette libération, que
de toute façon ça ne pouvait pas marcher. Volonté
partagée par les déçus de la
génération 68 qui a conduit à la mise en cause
globale de
la philosophie des Lumières.
Alors la littérature d’aliénation contemporaine
développe
logiquement la croyance en une évolution
du monde de moins en moins humaine, et même carrément
inhumaine.
La question étant évidemment de savoir
si le monde a jamais été humain. Le monde était-il
humain avant l’agriculture, durant les grandes invasions ou les
croisades, toutes opérées dans la sauvagerie, avec la
traite des humains depuis des millénaires, sous le colonialisme,
dans les années 1917 ou en 1942 précisément?
Au fond est-ce que l’Histoire n’a pas été
à proprement parler inhumaine si l’on considère les
guerres, les épidémies, les famines, les oukases des
pouvoirs absolus et autres
misères en tous genre, et pas seulement les
événements du 20e siècle. A quoi il faut ajouter
l’absence totale d’accès à l’éducation et au
savoir de la majorité des populations sans aucunement le projet
que cet accès lui soit donné, ni aux femmes ni aux
esclaves ni aux
pauvres…
Cependant rien ne semble empêcher les prédictions
catastrophistes de cette littérature d'aliénation quant
à l’avenir du monde, assénant soit
la disparition de l’espèce soit une mutation telle qu’elle
détruirait les qualités dites humaines.
Bien sûr il y a là un thème
récurrent de la science fiction qui se plait à montrer
des
personnages aux allures de robots ou d’extraterrestres, donc
déshumanisés, néanmoins faisant preuve de
comportements
mentaux identiques à ceux des terriens de toujours!
Pourtant le monde à long terme pourrait au contraire
laisser
place à des humains dont le mental serait assez
éloigné des terriens historiques.
Au fond cette littérature d’aliénation pose la
question de savoir pourquoi il faudrait penser que notre monde
contemporain serait pire que les précédentes
époques? Et pourquoi par conséquent ce qui s’est
passé avant serait forcément mieux que ce qui se passe
maintenant qui à son tour serait forcément mieux que ce
qui se passera après ?
Il n’est pas si facile d’exprimer cela, que ce sont les humains
de tous les temps de l’histoire qui n’étaient pas très
humains, tandis que peut-être oui la poursuite de la civilisation
pourrait rendre plus humain les humains.
Ce n’est pas dire que l’avenir du monde sera forcément
radieux mais que les humains seront vraisemblablement plus
intelligents, c’est à dire moins animaux, moins tribaux, portant
plus de savoir et moins d’inconscience dans leur corps…
Ainsi peut s’installer la question mentale que la
littérature
d’aliénation tente d’occulter.
Ainsi peut s'ouvrir la voie du chemin
mental de liberté, celui
d'une littérature au moins annonciatrice...