f             
texte 52

   Un voyage en Chine

      par Jean Pierre Ceton


(extraits d'un travail en cours)

Au vernissage du numéro 2 de la revue Rendez-vous, je parle avec une artiste chinoise d'une trentaine d'années. Je lui dis que je suis allé en Chine cet été, que ce voyage m'a beaucoup plu.
Vraiment, me dit-elle ? / Oui, je confirme, j'ai beaucoup aimé la Chine / Vous êtes sérieux ou vous vous moquez, elle demande ?
Bien sûr que non, je dis, prenant conscience que si elle vit en Europe, ce doit être parce qu'elle ne veut pas vivre en Chine, et plus surement qu'elle n'aime pas le régime au pouvoir...
Je n'ai pas réussi à lui dire que je n'avais fait qu'une traversée rapide de la Chine, un voyage classique, Beijing-Xi'an-Shanghai. Juste, je lui dirai : tout de même, vous êtes une Han, vous ?

Avec le recul du lendemain, je pense que si j'ai aimé ce voyage, c'est le voyage lui-même, pas ce que j'ai vu, ou ce que je n'ai pas vu, de la Chine.
D'ailleurs je me rends compte un peu tristement que le souvenir du voyage s'étiole très vite. Il me reste l'étourdissement d'avoir vécu dans un monde que souvent je n'ai pas pu comprendre en raison de la langue et de ses caractères d'écriture pour moi indéchiffrables. Parfois j'ai cru comprendre des mimiques qui semblent universelles, sans écarter qu'elles disent autre chose que ce que j'ai pu croire. Parce que c'est un monde qui est proprement singulier, jusqu'à ne ressembler qu'à lui-même.
Du coup, en revenant, j'ai dû gommer ce monde-là pour pouvoir me réadapter à mon monde présent européen. J'ai néanmoins en mémoire bien plus d'images que les dizaines de photos que j'ai rapportées dans mon téléphone.

[...]

Nous nous lâchons d'un coup, ou bien nous sommes lâchés dans cette rue pleine de boutiques, pleine de restaurants, pleine de gens marchant en tous sens, pleine de vélos, de scooters, de voitures. Tout chinois, tout en chinois, que chinois.
Tout me parait beau et si insolite. Les couleurs, les sons, les silhouettes, les visages, les cris. J'en suis secoué d'un rire intérieur. Je suis heureux d'être là en compagnie de « Bro », mon jeune garçon que j'appelle ainsi par suite d'une plaisanterie sur le président Obama.
Nous avons échangé un regard, nous avons ri, et nous sommes lancés sans savoir précisément par où nous passions sur cette simple recommandation du guide « vous prenez à gauche en sortant de l'hôtel, puis tout droit jusqu'au lac ».
Le chemin n'est pas très rectiligne dans ce quartier de Hutong aux innombrables petites ruelles, cependant tout invite à aller plus loin, entrainé par les incessants mouvements de foule.
Et on y arrivera au lac, comme si c'était l'objectif premier de notre voyage. Une immense étendue d'eau en partie couverte d'un champ de feuilles et de fleurs. Dans mon émotion, je pense aux nénufars puis je découvre qu'il s'agit de lotus. Champ de lotus jamais vu, les fleurs sortent de l'eau, jamais autant vu...

[...]

Les sensations fortes viennent de marcher dans une foule surabondante et omniprésente. La présence massive du nombre se ressent partout. C'est l'impression la plus étonnante, figurer dans une foule chinoise si nombreuse quand on est apparemment les seuls européens.
C'est une catégorie à part les étrangers. Sans doute parce qu'il n'y en a pas beaucoup. Il y a bien un tourisme de masse en Chine, mais c'est un tourisme chinois, intérieur.
Du coup on est beaucoup regardé, il est arrivé que des enfants nous montrent du doigt comme si c'était rare de voir des étrangers. Pourquoi, me demande Bro ? A cause du nez que nous avons longs et des yeux que nous n'avons pas bridés, je lui dis.
Sinon, les gens sont souvent plutôt indifférents car sur-occupés par leur mouvement de masse.
Ou bien par leur téléphone portable dont ils sont apparemment tous équipés, tout comme ils le sont d'un récipient pour boire du thé. Le thé est bon pour la santé. C'est une préoccupation que j'ai pu déceler, celle de se nourrir et de bien se nourrir. Il faut bien manger, ce qui me rappelle ce que pouvaient me dire mes grand-parents.

[...]

A peine installés dans le train de nuit nous conduisant à Shanghai, j'ai un doute sur le fait de savoir si nous sommes dans le bon compartiment... Bro m'assure que oui, il a vérifié sur le billet mais j'ai commencé à me renseigner auprès d'une co-voyageure qui n'en finit plus de me faire des phrases accompagnées de signes.
Une petite voix, provenant du couloir, me demande en français si elle peut m'aider / Ah ! vous parlez français ?
Oui, elle a fait des études en France, elle a habité à Paris et à Saint-Etienne. C'est Ding, l'étudiante chinoise. Non merci, je réponds, en fait je cherchais à savoir s'il y avait un wagon restaurant dans ce train.
Elle ne sait pas trop, elle pense que c'est le wagon 10. En fait ce sera le 4. Elle dit qu'elle nous a vus à la gare, qu'on était avec une femme. Oui, je lui dis, c'était Hong, une guide très gentille d'ailleurs qui a tenu à rester avec nous jusqu'au départ du train, une universitaire.
Je comprends à son air qu'elle avait imaginé une histoire, une toute autre histoire, par exemple que cette femme aurait été ma femme et que nous nous serions séparés là sur ce quai de gare...
Je lui propose d’entrer dans notre compartiment et lui présente Bro.
On se met à parler à nouveau dans le couloir, elle a beaucoup aimé vivre en France. Elle aimerait y retourner, c'est ce qu'elle préférerait, mais pour l'instant elle va chercher du boulot à Shanghai. Puis elle demande pourquoi j'ai choisi de voyager en Chine plutôt que d'aller en Birmanie ou en Thaïlande qui seraient plus touristiques ?
Parce que la Chine, c'est la puissance montante, je me suis surpris à lui répondre, comme si c'avait été la seule vraie raison de ce voyage.

[...]

Au retour, cette impression dans le métro à Paris que quelque chose ne va pas, que quelque chose manque, mais quoi ? Une pointe d'angoisse m'arrive du fait d'un vide à ressentir qu'il y a quelques chose en moins et quelque chose en plus. Je vois clairement que ce n'est pas du tout la même chose. Il y a moins de monde, ce ne sont pas les mêmes gens. Plus réservés, plus intérieurs. Plus silencieux. Je vois bien que les Hans ne sont pas là, première ethnie au monde d'un milliard trois cent mille personnes.
Ça que j'avais dit à l'artiste chinoise, tout de même, vous êtes une Han, non ?
Si, oui, elle avait dit oui.




                                                                                 sommaire   haut de page
2/12/2015 / tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m. à j. 7/2/2016
La page de jean pierre ceton
Dans la francophonie continuer le français
Pour une littérature numérique
Détestation du mot bouquin
Poursuivre l'expérience de la langue

retour page principale
écrire à lettreaulecteur