(extraits d'un travail en cours)
Au vernissage du numéro 2 de la revue
Rendez-vous, je parle avec une artiste chinoise d'une
trentaine d'années. Je lui dis que je suis allé en Chine cet été,
que ce voyage m'a beaucoup plu.
Vraiment, me dit-elle ? / Oui, je
confirme, j'ai beaucoup aimé la Chine / Vous êtes sérieux ou vous
vous moquez, elle demande ?
Bien sûr que non, je dis, prenant
conscience que si elle vit en Europe, ce doit être parce qu'elle ne
veut pas vivre en Chine, et plus surement qu'elle n'aime pas le
régime au pouvoir...
Je n'ai pas réussi à lui dire que je
n'avais fait qu'une traversée rapide de la Chine, un voyage
classique, Beijing-Xi'an-Shanghai. Juste, je lui dirai : tout de
même, vous êtes une Han, vous ?
Avec le recul du lendemain, je pense
que si j'ai aimé ce voyage, c'est le voyage lui-même, pas ce que
j'ai vu, ou ce que je n'ai pas vu, de la Chine.
D'ailleurs je me rends compte un peu
tristement que le souvenir du voyage s'étiole très vite. Il me
reste l'étourdissement d'avoir vécu dans un monde que souvent je
n'ai pas pu comprendre en raison de la langue et de ses caractères
d'écriture pour moi indéchiffrables. Parfois j'ai cru comprendre
des mimiques qui semblent universelles, sans écarter qu'elles disent
autre chose que ce que j'ai pu croire. Parce que c'est un monde qui
est proprement singulier, jusqu'à ne ressembler qu'à lui-même.
Du coup, en revenant, j'ai dû gommer
ce monde-là pour pouvoir me réadapter à mon monde présent
européen. J'ai néanmoins en mémoire bien plus d'images que les
dizaines de photos que j'ai rapportées dans mon téléphone.
[...]
Nous nous lâchons d'un coup, ou bien
nous sommes lâchés dans cette rue pleine de boutiques, pleine de
restaurants, pleine de gens marchant en tous sens, pleine de vélos,
de scooters, de voitures. Tout chinois, tout en chinois, que chinois.
Tout me parait beau et si insolite.
Les couleurs, les sons, les silhouettes, les visages, les cris. J'en
suis secoué d'un rire intérieur. Je suis heureux d'être là en
compagnie de « Bro », mon jeune garçon que j'appelle
ainsi par suite d'une plaisanterie sur le président Obama.
Nous avons échangé un regard, nous
avons ri, et nous sommes lancés sans savoir précisément par où
nous passions sur cette simple recommandation du guide « vous
prenez à gauche en sortant de l'hôtel, puis tout droit jusqu'au
lac ».
Le chemin n'est pas très rectiligne
dans ce quartier de Hutong aux innombrables petites ruelles,
cependant tout invite à aller plus loin, entrainé par les
incessants mouvements de foule.
Et on y arrivera au lac, comme si
c'était l'objectif premier de notre voyage. Une immense étendue
d'eau en partie couverte d'un champ de feuilles et de fleurs. Dans
mon émotion, je pense aux nénufars puis je découvre qu'il s'agit
de lotus. Champ de lotus jamais vu, les fleurs sortent de l'eau,
jamais autant vu...
[...]
Les sensations fortes viennent de
marcher dans une foule surabondante et omniprésente. La présence
massive du nombre se ressent partout. C'est l'impression la plus
étonnante, figurer dans une foule chinoise si nombreuse quand on est
apparemment les seuls européens.
C'est une catégorie à part les
étrangers. Sans doute parce qu'il n'y en a pas beaucoup. Il y a
bien un tourisme de masse en Chine, mais c'est un tourisme chinois,
intérieur.
Du coup on est beaucoup regardé, il
est arrivé que des enfants nous montrent du doigt comme si c'était
rare de voir des étrangers. Pourquoi, me demande Bro ? A cause
du nez que nous avons longs et des yeux que nous n'avons pas bridés,
je lui dis.
Sinon, les gens sont souvent plutôt
indifférents car sur-occupés par leur mouvement de masse.
Ou bien par leur téléphone portable
dont ils sont apparemment tous équipés, tout comme ils le sont d'un
récipient pour boire du thé. Le thé est bon pour la santé. C'est
une préoccupation que j'ai pu déceler, celle de se nourrir et de
bien se nourrir. Il faut bien manger, ce qui me rappelle ce que
pouvaient me dire mes grand-parents.
[...]
A peine installés dans le train de
nuit nous conduisant à Shanghai, j'ai un doute sur le fait de savoir
si nous sommes dans le bon compartiment... Bro m'assure que oui, il a
vérifié sur le billet mais j'ai commencé à me renseigner auprès
d'une co-voyageure qui n'en finit plus de me faire des phrases
accompagnées de signes.
Une petite voix, provenant du couloir,
me demande en français si elle peut m'aider / Ah ! vous parlez
français ?
Oui, elle a fait des études en France,
elle a habité à Paris et à Saint-Etienne. C'est Ding, l'étudiante
chinoise. Non merci, je réponds, en fait je cherchais à savoir s'il
y avait un wagon restaurant dans ce train.
Elle ne sait pas trop, elle pense que
c'est le wagon 10. En fait ce sera le 4. Elle dit qu'elle nous a vus
à la gare, qu'on était avec une femme. Oui, je lui dis, c'était
Hong, une guide très gentille d'ailleurs qui a tenu à rester avec
nous jusqu'au départ du train, une universitaire.
Je comprends à son air qu'elle avait
imaginé une histoire, une toute autre histoire, par exemple que
cette femme aurait été ma femme et que nous nous serions séparés
là sur ce quai de gare...
Je lui propose d’entrer dans
notre compartiment et lui présente Bro.
On se met à parler à nouveau dans le
couloir, elle a beaucoup aimé vivre en France. Elle aimerait y
retourner, c'est ce qu'elle préférerait, mais pour l'instant elle
va chercher du boulot à Shanghai. Puis elle demande pourquoi j'ai
choisi de voyager en Chine plutôt que d'aller en Birmanie ou en
Thaïlande qui seraient plus touristiques ?
Parce que la Chine, c'est la puissance
montante, je me suis surpris à lui répondre, comme si c'avait été la seule vraie raison de ce
voyage.
[...]
Au retour, cette impression dans le
métro à Paris que quelque chose ne va pas, que quelque chose
manque, mais quoi ? Une pointe d'angoisse m'arrive du fait d'un
vide à ressentir qu'il y a quelques chose en moins et quelque chose
en plus. Je vois clairement que ce n'est pas du tout la même chose.
Il y a moins de monde, ce ne sont pas les mêmes gens. Plus réservés,
plus intérieurs. Plus silencieux. Je vois bien que les Hans ne sont
pas là, première ethnie au monde d'un milliard trois cent mille
personnes.
Ça que j'avais dit à l'artiste
chinoise, tout de même, vous êtes une Han, non ?
Si, oui, elle avait dit oui.