lettre au lecteur                   

texte 9


Les précieux ridicules

par Claire Ardeen

Les précieux ridicules du monde médiatique nous font rire, par exemple quand ils se mettent à dégainer la bonne citation de sorte de trouver, croient-ils, une solution à des problèmes présents, grâce donc à une pensée de Kant ou Saint Augustin ou Platon ou...
St Augustin disait que... oui mais Kant écrivait que... Schopenhauer avait raison contre Nietzsche, non c'est ce dernier!
Les précieux ridicules nous font rire en ce qu'il véhiculent des slogans qui passent. Hier c'était par exemple les guerres partout, la pensée unique ou le politiquement correct...

Sont précieux les ridicules en ce qu'ils nous abreuvent de perles parfois inestimables.

Passons sur ce pauvre romancier qui déclame que le monde contemporain est glauque. Vision d'importance selon lui sauf que le qualificatif aurait mieux convenu au monde des années trente/quarante du 20e siècle entre autres. Le souvenir m'est revenu d'un de ces livres qui en effet décrivait un monde glauque. Oui alors c'est son univers à lui qui l'est glauque.

Bien plus extraordinaire cet homme qui annonce la disparition de la syntaxe dans l'usage de la langue de nos jours. Toute sa conviction est bandée à démontrer qu'aujourd'hui la langue est bafouée, massacrée et abaissée: même plus de syntaxe!

Rappeler à ce petit maître que syntaxe par définition renvoie aux règles organisant les liens entre les différents items de la langue. Qu'ainsi même s'il tient à démontrer que la syntaxe du 17e ou 19e siècle était meilleure que celle utilisée aujourd'hui, il y en a une forcément dans le français contemporain.
Mais sa rage vise aussi et surtout à démontrer l'horreur de ce temps, puisque selon lui la disparition de la syntaxe entraînerait la disparition de l'autre. L'autre, donc le prochain, le voisin, mais aussi le minoritaire, l'immigrant, l'étranger qui n'ont jamais autant été intégrés dans la conception de l'individu...

Droit dans le mur est sans doute l’expression qu’affectionnent nos précieux ridicules et qu'on retrouve un peu partout, pour étayer un argument quand celui-ci a vraiment besoin de l’être ou encore pour y accoler un importance de taille.
La situation est si tendue qu'on va aller dans le mur. L’humanité va droit dans le mur, la France s'y dirige tout autant…
Ce n’est pas éloigné de phrases encore plus répandues telle: c’est de pire en pire, il y a de moins en moins, la situation s’est encore aggravée, on ne peut pas dire que ça s’arrange, on fonce dans le mur tête la première etc. Phrases souvent ordinaires véhiculées à l'occasion par des gens par ailleurs penseurs, auteurs etc.

Ici qu'il faut
faire intervenir le philosophe Baudrillard, qu'on nommera Monsieur Plus, dans le sens de plus du tout. Car il ne laisse pas filer une phrase sans balancer un "même plus, n'a plus, ce n'est plus" etc.
Monsieur Plus est revenu avec son rire sarcastique privatif. Après avoir clamé depuis plus de dix ans que le virtuel nous envahissait, il parle désormais de réalité intégrale qui nous prive de toutes perspectives.
Le pauvre Monsieur Plus qui ne semble pas accéder à quelques-uns des 100 milliions de sites répertoriés... s'entend très bien au fond avec Alain Finkelkraut, toujours enfermé dans son monde analogique, pour répéter avec jouissance manifeste que nous assistons à la grande liquidation des valeurs, celles qu'on appelle à <lettreaulecteur.com> les valeurs analogiques (en gros, celles du 19e siècle, en tout cas d'avant 1950, avant le numérique...).
Ce qu'aime Baudrillard, c'est asséner, l'air de dire que les autres ne le voient pas, que le numérique supprime la dualité.

Ce qui nous ramène au petit maître et sa disparition de l'autre. Mais surtout à ce pauvre romancier qui n'hésite pas à dire qu'il préférerait
que le monde soit plus violent ou même plus barbare plutôt que d'être glauque...
On lui dégaine en citation la phrase de Jean Pierre Ceton qui dit préférer dans tous les cas de figure la civilisation à la barbarie.
10/052005 / tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m. à j.  05/11/2006

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