lettre au lecteur            

texte 5

La question du support

 par  Aimé Victorin (1)

Nous voulions parler de notre révolte contre le fait, ressenti par nous comme un grossier abus de pouvoir, qu'un présentateur du journal télévisé le plus regardé soit en même temps le quasi seul présentateur d'émissions sur les livres en France et, du coup, un homme qui pèse de toute son influence sur le monde de l'édition littéraire.
D'abord en distillant sournoisement son idéologie médiatique, officielle et pseudo-consensuelle, puis en imposant ses goûts littéraires sous une évidence de vérité et, plus que par-dessus tout, même si c'est son droit, en ce qu'il écrit des romans dont les pauvres critiques sont bien obligés de parler dans leur chronique s'ils veulent ne pas être exclus du bon cercle... Ajoutons que nombre d'écrivains se sentent dès lors obligés de se rendre à ses émissions, même s'ils y vont tête basse.
Mais s'entêter à clamer cette révolte serait, sinon avoir perdu d'avance, en tout cas courir le ridicule pire que le Don Quichotte de Cervantes, si bien que nous préférons traiter de la délicate question du support de l'écrit.

- Depuis des siècles s'était instaurée l'évidence du lien entre écrit et livre papier,
sans d'ailleurs que les lecteurs aient conscience de l'autonomie possible de l'écrit par rapport à ce support historique.
- Aujourdhui le support numérique s'installe à côté du livre papier, permettant un accès massif à l'écrit pour des quantités de gens adultes ou enfants qui ne lisaient pas ou n'allaient plus écrire (récemment encore des experts craignaient que les nouvelles générations téléphonent mais n'écrivent plus)....

- Les différents disques durs ou compacts sont des mémoires à lire, tout comme le livre d'une certaine façon, et l'on peut trouver sur
internet davantage d'écrits que dans les plus grandes bibliothèques jamais imaginées par nos utopistes du passé. Sans compter que les grandes bibliothèques existantes y deviennent accessibles.
- Il n'empêche que pour le moment lire un roman, par exemple, en édition numérique reste peu pratique, en tout cas sur écran, étant donné que les livres numériques ne semblent pas parvenir à s'imposer.
- D'ailleurs le livre papier est devenu un objet de plaisir, facilement disponible dans les librairies locales ou électroniques, et aussi dans les hypermarchés.

- Cependant u
n outil manque cruellement en lecture du livre papier, c'est la procédure de recherche d'un mot ou d'une expression, au point d'en être réduit, souvent nerveusement, à feuilleter et refeuilleter une partie du livre pour trouver le passage que l'on cherche...
- Le développement du support numérique intervient en même temps qu'un retour au livre, voire à l'éclosion d'une bibliomanie exacerbée qui pour une part sert de refuge à ceux pour qui le support numérique est le symbole d'un monde moderne honni.
- Retour du livre, soyons humbles, les bibliothèques publiques datent de moins d'un siècle en France et le livre n'a jamais été abandonné, au contraire sa croissance en termes d'édition a été constante depuis des dizaines d'années.

- L
e support numérique ouvre un abri de taille infinie pour des quantités d'écrits présents, et à venir surtout, que l'édition papier aurait été bien incapables d'accueillir et encore moins de stocker tout en les maintenant disponibles...
- Il devient pénible pour un lecteur numérique lorsque lisant un livre papier il est renvoyé à un article d'une revue ou à un livre publiés des années auparavant de devoir attendre de commander ou de se rendre en bibliothèque pour trouver cette référence quand par un simple clic il pourrait y avoir accès.

- Alors comment expliquer que la question du support reste si délicate?

- Une certaine instabilité des écrits en ligne. Ce n'est plus gravé dans la pierre ni imprimé une fois pour toutes. L'auteur peut facilement revoir et préciser son texte. D'ailleurs le lecteur doit actualiser la page qu'il visite afin de ne pas retrouver la page précédemment consultée alors qu'elle a peut-être été mise à jour...
- Pourtant on lit de plus en plus sur écran. Il s'agit peut-être d'une autre lecture, comme il faudrait parler d'une autre écriture en ligne...


(1) texte collectif

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