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Citations à haut risque?

par Alexie Virlouvet et Jean Pierre Ceton

Il y a une pratique, un rituel, presque une formalité, qui consiste à mettre en exergue d'un livre une citation d'auteur.
Ce peut être pour rendre hommage à cet auteur ou pour indiquer une sorte d'appartenance à une lignée. Dans tous les cas, la citation  est présentée comme une sorte de vérité qui doit servir à prouver quelque chose. Cette citation joue alors le rôle d'une sorte d'arme destinée à combattre une autre pensée, une thèse opposée, voire une autre citation.
Cette pratique est pourtant contraire à tous les bons principes de logique première selon quoi on ne doit jamais sortir une phrase de son contexte.
Néanmoins cela ne réduit en aucune manière son efficacité, la citation à sa force propre, tout comme un bon conférencier émaille sa prestation de "n'oublions pas comme disait Bossuet que... vous me permettrez de conclure par cette phrase de Lucrèce etc"...
Ce peut être cependant  source d'ennui si l'on attribue par erreur la citation à un auteur et non à son véritable auteur. Comme pour cette sociologue Nathalie Heinich qui a semble-t-il commis cette erreur entre Schiller et Hölderlin... Son honnêteté la pousse à indiquer partout où elle le peut qu'elle s'est trompée, par exemple invitée à l'émission de Alain Finkelkraut, un samedi matin sur France Culture, elle a tenu, avant d'intervenir sur les sujets de l'émission, à rétablir la vérité concernant l'auteur de la citation.
S'engager sur ce rituel de la citation peut aussi carrément utiliser l'auteur à contresens.
Considérons cette phrase de Pessoa mise en exergue d'un texte dans Le Perche des Arts: "L'homme n'en sait pas plus que les animaux, il en sait même moins. Eux savent tout ce qu'ils ont besoin de savoir. Pas nous".
Il fallait qu'il en ait plus que marre des humains pour écrire une chose pareille, Pessoa, sauf qu'on peut comprendre la portée de sa phrase si l'on sait que Pessoa a eu une vraie vie de chien.
Pas croire en effet qu'il publiait ses livres tous les ans avec prix littéraire fêté au champagne, non, un seul petit livre a été édité de son vivant et encore, très confidentiellement l'année précédent sa mort, le reste de son oeuvre a été retrouvé dans une malle, donc posthume...
Vie de chien qu'il a passé cependant à observer les humains et à capter leur suffisance...
Pour le rire, citons Roland Barthes qui disait (l'a dit lors de la séance inaugurale de son cours au Collège de France): "l'écrivain est un petit Monsieur qui en sait long sur le monde"!
(JPC a déjà proposé la féminisation de la citation dans Les Voyageurs modèles: "l'écrivaine est une petite dame qui en sait long sur le monde"!)
C'est dire qu'on peut citer tant qu'on veut mais cela n'aura jamais plus de vérité que son poids de citation...

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20/11/2009 / tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m. à j.  23/9/2013
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Analogiques versus numeriques : hommage à Derrida

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